26 mai 2012 6 26 /05 /mai /2012 09:56


Docteur de l’Université (1901-1978)

             Sous-diacre dans l'Église russe en France durant plus d’un demi-siècle, docteur de l'Université de Paris et professeur d'histoire d'une érudition stricte, Pierre Kovalevsky propose un texte de synthèse, clair et simple, pour approcher de l'Église orthodoxe.

   Né le 16 décembre 1901 à Saint-Pétersbourg, Russie. Études secondaires dans un lycée classique de cette ville. Étudiant à Paris (Sorbonne), à la Faculté des Lettres (1920-1922). Docteur ès lettres à l’Université de Paris (1926). 

   Professeur de littérature et d'histoire russe au lycée Michelet à Paris (1926-1941). Chargé de cours à la section russe de la Sorbonne (1931). Chargé de cours à l'Institut orthodoxe russe Saint-Serge de Paris. Professeur et doyen de l'Institut français de théologie orthodoxe Saint-Denys à Paris (1945-1978). Chargé de conférences à l'Université de Paris III (1970).

   Il prit une part active au Mouvement des étudiants chrétiens russes et au Mouvement des étudiants chrétiens an­glais, ainsi que dans les relations entre Anglicans et Orthodoxes. 

Principaux ouvrages : Leskov, peintre de la vie russe, 1926 (Thèse de doctorat). Manuel d’histoire russe, Paris, 1948. Saint Serge et la spiritualité russe, Paris, 1958.Atlas historique et culturel de la Russie et des pays slaves, Paris, 1961. Histoire de la Russie et de l'U.R.S.S., Paris, 1970. Histoire de la diaspora russe (1920-1970), Paris, 1971. 

            Je me trouve en grande difficulté pour tracer les lignes qui vont suivre. Parler de son propre frère c'est comme dessiner un objet proche de soi et auquel, de ce fait, la perspective habituelle ne s'applique pas. Ne pourrais-je pas alors essayer d'utiliser une pers­pective «inverse», à la manière des iconographes traditionnels et des peintres du Moyen-Âge ? Avec une telle perspective, dans l'espace les objets, de même que dans le temps les événements, quand ils sont très proches, nous apparaissent plus petits, moins signifiants que d'autres objets, d'autres événements situés à une certaine distance privilégiée qui les place comme autour d’un point de mire choisi. C’est ainsi que l'écoulement apparent de l'existence (la biographie) et les œuvres publiées (la bibliographie prennent dans cette perspective une dimension moindre que les mobiles intérieurs qui ont déterminé les lignes conductrices de cette existence et les recherches d’approche qui ont permis la réa­lisation de ces œuvres. Ce seront certains détails biographiques dont seuls les proches peuvent avoir connaissance, certaines œu­vres publiées bien que peu connues, et enfin les œuvres non encore publiées, qui nous aideront, ici, à mettre en lumière les aspirations intérieures et les méthodes de travail de l'homme, au fond très secret, qu'était Pierre Kovalevsky. 

            Les mobiles essentiels qui ont animé son existence sont d’une part un total dévouement à l'Église, et d'autre part l'amour de la vérité historique liée au besoin de remonter aux sources. 

            Pour comprendre le dévouement quasi amoureux de Pierre envers l'Église, il ne faut pas oublier qu'il appartient à la généra­tion dont l'adolescence a vécu les premières années de la Révolu­tion russe. Dans un monde dont les structures politiques, sociales et culturelles s'effondrent, seule l'Église subsiste. Elle se révèle comme une réalité nouvelle, comme seule Permanence. On l'aime avec ses beautés et ses faiblesses, les unes sublimes, les autres déroutantes. Cet amour pourrait être comparé à celui d’un cheva­lier pour sa Dame. On l'admire, on la sert et on la défend. C'est à travers elle qu'on retrouve Dieu, son prochain, et aussi le cosmos, le monde en route vers la transfiguration. 

            La tâche la plus urgente, la plus noble, est donc le service con­cret de l'Église dans la liturgie et dans son organisation. C'est la tâche d’un homme entièrement dévoué à son œuvre qui ne peut pas aspirer à la prêtrise. Il est compréhensible qu'avec cette géné­ration de jeunes laïcs (génération à laquelle appartiennent parmi bien d'autres mon frère Eugraph qui ne se destinait pas encore à la prêtrise, Wladimir Lossky, Nicolas Ignatieff et moi-même) conscients de leur place dans la communauté ecclésiale, apparaisse en pleine Révolution dans l'Église orthodoxe russe, un renouveau des Ordres mineurs. Des garçons des meilleures familles et même des membres survivants de la famille impériale demandent à être ordonnés lecteur, acolyte et sous-diacre, dernier échelon avant l'entrée dans le clergé majeur. Ils assument les conséquences de leur ordination qui, bien que mineure, les classe «hommes d'Église», catégorie indésirable en un tel temps et en un tel lieu. 

            Transplanté en France, Pierre conserve ce dévouement chevaleresque pour l'Église vue comme structure survivante au cata­clysme, ce qui n'est pas facile dans l’émigration, monde où des structures effondrées se trouvent conventionnellement reconstituées. Fidèle à cet idéal de jeunesse, ordonné sous-diacre en 1921 par le Métropolite Euloge, il reste volontairement en cet état jusqu’à la fin de sa vie, pendant 57 ans. Il organise dans l'ensemble des paroisses de l'émigration russe un enseignement pratique et théorique de la liturgie, en formant autour de chaque église un groupe de clercs mineurs qui s'engage à desservir les offices. Rien que pour la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, trois cents jeunes gens au moins ont été formés par ses soins. En 1936, les clercs mineurs de la région parisienne sont réunis en confrérie (Confrérie Saint-Alexandre-Nevsky). Dans cet organisme de jeu­nes que Pierre préside jusqu’à la fin de sa vie, la tradition d’un dévouement chevaleresque à l'Église-mère se transmet et demeure encore vivace chez ceux qui l'ont connu. 

            Outre sa participation active aux offices et la formation des clercs mineurs, une grande part de son temps est consacré à l'en­seignement des dogmes, des canons et de la liturgie qu'il dispense sous forme de cours, de conférences, de brochures et de travaux imprimés ou dactylographiés d'importance variée. Le nombre de ces manifestations est tellement important qu'on à peine à croire qu'un seul homme, par ailleurs de santé fragile, ait pu les réaliser. 

            Le domaine «organisation» de l'Église-institution lui prend également beaucoup de temps et de forces : conseil paroissial, conseil épiscopal, relations avec les représentants d'autres confes­sions, organisation de réunions œcuméniques... Les archives qu'il a laissées et que plusieurs spécialistes sont en train de trier et de classer montrent que cette activité débordante n’a pas été vaine : les lettres adressées à Pierre spontanément ou en réponse aux écrits reçus de lui témoignent en effet que dans la majorité des cas, de tels échanges ont porté fruit. 

            Mais passons au second mobile essentiel qui animait mon frère : cet amour de la vérité historique qui le poussait vers la recherche des sources. Dans ce domaine Pierre représente un exemple de chercheur patient et scrupuleux dont le langage reste toutefois simple et clair, sans artifice littéraire, sans jargon pro­fessionnel. C'est dans les documents inédits concernant les travaux préparatoires à ses ouvrages les plus importants, que se trouvent exprimées en clair les idées qui n'apparaissent qu'en filigrane dans le texte même de ses ouvrages. Les échanges d'idées avec ses collègues historiens retrouvés dans ses archives à propos des édi­tions successives et des nouvelles rédactions de ses œuvres, mon­trent qu'il ouvre véritablement une voie nouvelle dans l'étude de l'histoire de la Russie considérée non plus comme une discipline à part mais comme une part intégrante de l'histoire de l'Europe. 

            Un même esprit d'universalité anime ses travaux concernant l'histoire de l'Église. L'Église orthodoxe orientale et en particulier l'Église russe y sont étudiées en rapport avec l'Église universelle et en tant que partie intégrante de celle-ci. Dans cette vision his­torique, Pierre Kovalevsky envisage de façon réaliste le problème de l'existence d'une Église orthodoxe occidentale, problème qui, dans une telle perspective, ne peut être éludé. Il participe à des travaux de recherche dans la piété occidentale - et en particulier française - d'éléments appartenant à l'Église indivise d'avant le Schisme et demeurés vivants jusqu'à nos jours, capables d'être intégrés avec naturel dans la piété orthodoxe d'aujourd’hui. Nom­breux sont ses articles qui traitent des saints, des sanctuaires et des pèlerinages de France. Il n'hésite pas à prendre part aux grands offices de rite occidental de l'église Saint-Irénée bien qu'il reste fidèle à sa paroisse russe de la rue Daru et au rite oriental en sla­von (fidélité d'amour vis-à-vis de l'Église-mère, mais en même temps liberté d’expression). 

            Depuis 1965 jusqu'à son décès, il remplit la charge de Doyen de l'Institut Saint-Denys où il occupe la chaire d'Histoire de l'Église universelle. Il y forme de jeunes disciples auxquels il lègue non seulement des archives mais également sa conception de l'Histoire et de l'Église. Le tri et le classement de ses archives qu'ont entrepris de jeunes savants russes et français permettra, espérons-le, d'en faire éditer certaines parties. Ses amis survivants et ses nouveaux élèves-disciples pourraient ainsi apprécier à leur juste valeur les résultats du travail de leur ami et maître. 

            Ajoutons quelques mots sur les relations de Pierre avec son entourage et ses amis, aussi bien proches qu'éloignés. Il était très attentif, très fidèle bien que sans démonstrations de sympathie exubérante, se montrant même parfois bourru envers ses proches. Jamais il n’oubliait les anniversaires et les fêtes de ses amis : une petite lettre, un petit cadeau leur rappelait qu’il ne les avait pas oubliés. Son total désintéressement et son peu de besoin lié à un style de vie ascétique lui faisait négliger des possibilités financiè­res qu'il aurait pu retirer de ses travaux, et pourtant, chaque fois qu'il le pouvait, il aidait ceux qui faisaient appel à lui, mais discrètement, en cachette. On peut dire qu'il semble n'avoir jamais vécu pour lui-même. Une vie sentimentale purement personnelle a passé devant lui sans vraiment le saisir. Il est resté célibataire et pourtant il aurait pu être bon époux et bon père. Il aimait beau­coup les enfants qui le lui rendaient bien. C’est de bon cœur qu'il se faisait exploiter par les enfants de ses amis tant qu'il était jeune et pouvait partager leurs jeux. Jusqu'à la mort de notre mère, il a vécu avec elle, lié à elle non seulement par cet amour filial si développé dans les familles traditionnelles, mais aussi par une solidarité de métier, une sorte de complicité : tous deux étaient historiens et ils collaboraient. 

            La mort de notre mère survenant au moment où il commençait une longue et douloureuse maladie, a marqué une cassure de plu­sieurs années dans sa vie. C’est avec difficulté qu'il reprit le fil de ses activités. La fin de sa vie de chercheur fut surtout consacrée à préserver jalousement ses archives, ce précieux héritage qu'il nous lègue. Bien que le souvenir apparent qu’il nous laisse soit celui d'un survivant d'un âge déjà révolu, dans une perspective plus pénétrante il se découvre à nous comme un homme réellement de notre temps, un homme de tous les temps.

      Maxime Kovalevsky 

(Ce texte est paru pour la première fois dans Présence Orthodoxe, n° 40).

 

 

 

 

 

 

 

 


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