La plus ancienne mosquée publique de Moscou s’effondre le 11 septembre

Vladimir Golovanow 

J'ai souvent cité en exemple la cohabitation pacifique de l'Islam et du Christianisme en

Russie depuis 300 ans. La plupart des villes russes, dont les deux capitales historiques

comptent en effet des mosquées dont le minarets font bon ménage avec les bulbes et

les croix orthodoxes. Et voila que le 11 septembre, alors que le monde entier commémorait

l’attentat sur les deux tours jumelles à New-York, la Grande mosquée de Moscou, l’une

des mosquées les plus importantes de Russie s’effondrait, probablement victime des

projets de grandeur de son Imam. Le Courrier de Russie consacre un intéressant

article à cet événement plutôt étrange...... 

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW

Le 11 septembre, alors que le monde entier commémorait l’attentat sur les deux tours jumelles à New-York, la Grande mosquée de Moscou s’effondrait. Le Courrier de Russie a laissé la parole à Natalie Samover, coordinatrice de l’association de surveillance du patrimoine architectural,Akhnadzor. Construite en 1904, il semblerait que l’une des mosquées les plus importantes de Russie ait été victime des rêves de grandeur de son Imam.

Le Courrier de Russie : Pourquoi a-t-on détruit la grande mosquée de Moscou?

Natalie Samover : En 2008, la mosquée a reçu le statut de patrimoine architectural de la ville de Moscou. Au même moment, un groupe islamique s’est adressé au pouvoir pour  retirer ce statut qui empêchait toute destruction car l’Imam, Ravil Gaïnoutdine, souhaitait ouvrir un centre islamique à la place : un lieu de culte où il pourrait installer sa résidence, un centre commercial pour musulmans, un institut culturel, etc. On n’avait pas vu ça depuis 100 ans : un centre religieux qui demande lui-même la destruction de son édifice. Le pouvoir n’avait plus détruit de lieu de culte depuis les années 70 !

LCDR : On dit qu’elle était en très mauvais état, et que c’est par mesure de sécurité qu’on l’a détruite ?

N. S : Cette mosquée avait reçu de la ville de Moscou pour ses 100 ans, en 2004, de l’argent pour sa rénovation. La république de Tatarstan a également financé des travaux. Les bâtiments les plus anciens peuvent toujours être conservés, et c’était certainement la mosquée de Moscou la plus fréquentée, donc je pense que cet argument n’est pas valable.

LCDR : Mais l’Imam a gagné ?

N. S : Oui. Officiellement, il a été dit que la mosquée était vétuste et mal orientée : elle différait de la direction de la Mecque de 8 degrés. C’est un argument stupide, car c’est le cas de beaucoup de mosquées dans le monde : en Espagne, il y a une mosquée qui est tournée vers Damas, et les musulmans se contentent de tourner leur tapis de prière vers la Mecque, ils ne font pas exploser leur mosquée ! Quoi qu’il en soit, il y a eu à la mairie 7 votes « pour » et 7 votes « contre » : le pour l’a emporté car le président du comité du patrimoine moscovite de l’époque, Valéry Chevtchouk, a voté pour le retrait du statut de patrimoine. Le statut de patrimoine historique a alors été retiré et ils ont commencé les travaux du centre islamique autour de la Grande Mosquée, avec des minarets de 75 mètres ! L’architecte lui-même [Ilyas Tajiev, architecte de la mosquée Memorial de Moscou, construite à la mémoire des musulmans morts pour la Russiem ndlr] s’est retourné contre le centre religieux, car la construction, confiée à une entreprise turque, ne respectait pas du tout les souhaits de l’auteur. Il avait peur que les minarets s’effondrent !

LCDR : Et ensuite ?

N. S : Il y a quelques semaines, nous avons appris que le processus de destruction approchait. Albir Krganov, l’un des éminents musulmans de Russie, a écrit une lettre pour demander à ce que la Grande Mosquée entre au patrimoine national. La procédure veut qu’une fois la demande émise, aucune destruction n’est possible tant que la décision n’a pas été rendue.

LCDR : Que s’est-il passé, le 11 septembre ?

N. S : On parle d’un accident, la mosquée s’est effondrée, comme explosée. Mais il n’y a pas de preuves : aucun expert n’a constaté l’accident, il n’y a pas de photo, rien. La Grande mosquée est partie en fumée, on l’a fait sauter.

LCDR : Pourquoi avez-vous décidé de défendre cette mosquée ?

N.S : Akhnadzor travaille sur ce sujet depuis 2009, date à laquelle Moscou a retiré son inscription au patrimoine de la ville. Les musulmans ont perdu un lieu de culte supplémentaire, alors que depuis quelques années nous cherchons une solution pour pouvoir tous les accueillir, car beaucoup sont obligés de prier devant les mosquées par manque de place. Ils sont entre deux et six millions à Moscou pour seulement quatre mosquées -le recensement est difficile car la majorité des travailleurs du Caucase et d’Asie centrale ne sont pas enregistrés. Sans compter que cette mosquée est symboliquement très importante pour l’Histoire des musulmans de Russie.

LCDR : De quelle façon ?

N. S : Historiquement. Nicolas II a autorisé la pratique de toutes les religions sur le sol russe en 1905. Mais dès 1904, son frère, Sergueï Alexandrovitch a ordonné la construction de cette mosquée, comme premier lieu de culte pour les musulmans : il n’existait jusqu’alors qu’un seul endroit où ils étaient autorisés à se recueillir, dans une maison privée, ce n’était donc pas un lieu public. Ce fut un moment fort pour le regroupement ethnique de Moscou : les musulmans étaient présents en Russie depuis la prise de Kazan par Ivan le Terrible [16^ème siècle, ndlr], mais n’étaient pas représentés dans la capitale. Il a donc été décidé à l’époque que l’architecture de cette mosquée serait tatare, financée et construite par les Tatares.

LCDR : Et sous l’URSS, pourquoi n’a-t-elle pas été détruite ?

N. S : A vrai dire elle a été la seule mosquée de Moscou qui ait eu l’autorisation d’ouvrir ses portes pendant toute la période soviétique. Les bolcheviks savaient qu’il fallait laisser un peu de lest aux croyants pour ne par engendrer de mouvements massifs de contestation. Quelques rares édifices religieux ont ainsi été laissés ouverts au public, bien que peu entretenus. Dans les années 80, Brejnev a voulu la détruire car elle gênait les travaux pour les Jeux olympiques : mais les représentants des pays arabes à Moscou ont signé une pétition et ont empêché sa destruction. Voilà pourquoi il fut un temps où elle fut la mosquée la plus importante de Russie.

Les musulmans réagissent sur le net :

• POUR :

« On l’a détruite , c’est vrai : mais on va en construire une autre, meilleure,  avec une grande salle pour les prières, et des étages. La vieille mosquée ne pouvait plus recevoir tous les musulmans de Moscou ! » Forum Ozpp.ru

« La mosquée n’est pas faite pour l’admiration mais pour la prière. On va construire une nouvelle mosquée plus commode et plus grande ! » Diakuraev Live Journal

« Il ne faut pas pousser trop loin avec le culte des bâtiments. La philosophie orientale est proche de l’idée du Christ : il faut construire un temple à l’intérieur de son propre corps. » Diakuraev Live Journal

• CONTRE :

« En détruisant l’histoire d’un peuple, on détruit son futur. Cette mosquée n’avait pas de réelle valeur architecturale, mais les choses ne sont pas toutes déterminées par leur esthétique. Pour les musulmans, peu importe la beauté d’une mosquée, ce qui importe c’est que l’on puisse venir y prier. Et en ce qui concerne son orientation, le Coran n’impose pas que les mosquées soient décalées ou non de quelques degrés par rapport à la Mecque… » – mufti Gabdounour Kamalouddin  sur  vyakta.ru

« C’est l’affaire de barbares et de personnes qui ont perdu foi en Dieu. C’est tellement triste ce qui s’est passé. On nous a privé de notre histoire » Nail Sibgatoullin (vkontakte)

« On nous a enlevé notre mosquée, celle avec qui on a passé notre vie. (…) Nous sommes devenus orphelins. Pardonnez-nous, on n’a pas réussi à la protéger. Et maintenant ce sont ces hypocrites qui vont construire leur propre temple… Ce ne sera jamais le nôtre ! », sur le forum de l’organisation de la Parole libre des Tatares de Moscou mtts

                                                                                                               Propos recueillis par NINA FASCIAUX

Interprète: MARIA GORKOVSKAYA